Livre d'artiste réalisé après une résidence d'écriture à Wimereux (Pas de Calais) en février 2019.
Texte de Maty. Illustration avec la technique du monotype.
CARNET DE DIGUE Maty
Sur la digue le chemin est à soi seulement.
Ludovic Degroote La digue
Jour I
On se fait une digue !
Deux / fois
Trois / fois
Le vent glace les genoux
les oreilles
mais le corps a chaud
Les maisons
déjà là
en creux
Aujourd'hui
c'est le baroque
en rond de bosse
qui suit la digue
Les filles
welsh
picon-bière
irish-coffee.
retrouvailles
découvertes
redécouvertes.
La digue
deux/ fois
trois /fois
Des rayons sur le cap
eau verte en rouleaux
les vagues mangent le sable.
Du rose au nord
du gris au sud.
Pur paysage
Griserie
Marche orientée par les pas seuls.
Les autres
sur la digue
deux / fois
trois / fois
qui
avec son chien
ses béquilles
qui
avec son bandeau sur les oreilles
baskets rouges et
collant synthétique
et aussi
vélo enfourché
lunettes de diptères.
D'autres encore
bâtons cadencés
qui claquent sur la digue.
Jour II
Urgent
prendre l'air de la mer.
D'où vient
cette urgence d'aller la voir la mer ?
La mer mugit
sans trêve.
La mer est
de ce vert indéfini
qu'on sait
mais qu'on ne peut dire.
Le ciel courbe l'horizon.
Le vent fait courir des ondes
sur le sable lissé.
Moelleux le sol
sous la semelle
à peine une trace.
L'air gifle le visage
Des crépitements résonnent quelque part.
C'est la pluie.
Seule ou presque
une silhouette encapuchonnée.
Un bonjour de connivence
orné d'un sourire.
Partage de l'instant.
Jour III
Semelles dans semelles
sur les traces
chemin d'errance.
Le vent glace la nuque.
Souvenir
qui ne serait pas d'ici
un ruban rouge à pois blancs
épinglé dans des cheveux fins d'enfant.
Le blockhaus se disloque et s’éboule
Blocs épars
au pied de la falaise.
Vestiges d'une histoire.
Ne pas recommencer.
Le béton reste signe.
Le versant
s'effrite.
La falaise
recule.
Usure
fracture
morceaux
en vrac
en miettes
milles choses brisés
mille mots épuisés
au bord de la disparition.
Ne rien laisser derrière soi.
La mer
en face.
Attraper une vague / du regard
elle meurt aux pieds.
Attraper / toutes les vagues
d'incessants mouvements
d'une infinie clameur
hypnotique image
hypnotique rengaine
dans un ailleurs vide
S'y glisser
y trouver le repos
Les pierres s'ancrent dans le sable
denses de leur présence
blocs de mémoire muet.
Souvenir qui ne serait pas d'ici
un galet rose
un galet gris
empilement qui dit
une présence d'avant.
Les vagues rugissent.
elles attaquent
furieuses
rageuses
fouettent
rongent
usent.
éclatent en mousse
en paquets d'eau
là où la digue et la mer s'usent
l'une et l'autre.
Le galet poli
roulé et
roulé mille fois
par l'entêtement de la vague
apparaît sans fard
dur
net
Prendre un caillou brut et tiède de soleil
refermer les doigts un à un
Battements de cœur
pour une pierre lisse ou brut
sculpture d'un hypothétique artiste
amulette dans le présent
à ranger déjà
dans la boîte du temps
avec les verroteries de la mémoire.
Ce rêve qui ne serait pas d'ici
meurt sur l'arrête des pierres blanches.
comme bulle de savon
Jour IV
Il bruine sur le rivage
les maisons dressées se reflètent dans le luisant de la digue.
Espace immobile
Même les vagues / sont / arrêtées
Tout entier
dans le désir de silence
d'une pierre à écrire
quelqu'un se perd
dans le gris minéral.
Il boit la transparence du vide.
Il n'y a ni haut, ni bas
seul un intertitre.
Quelqu'un sait l'impuissance des mots à dire.
Il y aurait ce souvenir qui serait d'un musée
un collier de fossiles
cent soixante et dix perles
en suspension.
Jour V
Du vent
du vent qui / soulève les vagues.
du vent qui / apporte les nuages chargés d'eau.
Il les pousse
au-delà
le soleil revient.
Une dame
mollets rougis
affronte les rafales.
Et le chien lui échappe.
Il se jette dans l'écume.
Elle doit descendre les escaliers gluants.
Certaines
d'un autre temps
portent des jupes et des socquettes.
Hiver à pierre fendre
à geler les oliviers.
Les ailes de la mouette tremblent
l'oiseau blanc rage à la bourrasque.
Le Wimereux
en flots boueux
lutte.
poussée de la marée.
tentative.
forcer le passage.
se replier.
revenir à l'assaut
et
insidieuse
remonter le long des deux berges.
Loin
les vagues explosent haut
contre la jetée.
Elles approchent de la digue
chargées de sable
en rangées d'écume
Clameur incessante
reflux
à contre-marée
dans un déchaînement de bave.
Il y aurait ce souvenir qui n'est pas d'ici
la sagesse d'un désert.
Pas de voile qui gonfle
pas de cordage sur les quais.
Bâillonné par le souffle
quelqu'un est venu voir la mer.
Sel sur les lèvres
dans le paysage
il écrit une armée de caractères
en lignes ordonnées
paragraphes en retrait
points d'exclamation en ordre strict.
Jour VI
Il fait doux
Même si
le vent...
C'est ici
dans les rues.
Vieil hôtel
villa à louer,
villa fermée
sur côte d'Opale en hiver.
Il y a eu des pierres avant le mur.
Le mur
c'est l'élaboration de pierres
entre ciel et terre.
Le marché / sur la place.
Une file d’attente au camion
les volailles nues se serrent l’une contre l’autre.
L'étalage du fleuriste
fleurs et plantes vertes se serrent en rectangles.
Du brouhaha du café.
Essayer de percevoir une voix du nord.
Là …
on entend.
on comprend rien.
On entend :
« Traîne-savate »
- « personne qui vit dans l'oisiveté et dans la misère »
Eclats de rire au-dessus des voiliers en bois.
- « Un corps tombé dans la Manche a été retrouvé. »
- ...
- « 16° sur la côte d'Azur ».
Café\croissant
plaisir de déroger.
Entrer\sortir
Souvenir qui ne serait pas d'ici
une capuche
de
pluie
transparente
nœud sous le menton
pliée\déplié\en accordéon.
Ce matin le présent se mesure avec les yeux, avec la marche.
Sur la digue le vent pousse.
Il court
La voile à bout de bras soulève
Planche sous le coude
jusqu'à l'eau.
Le vent emporte.
L'homme est oiseau\marin.
Les vagues sont sages ce matin.
Jour VII
De la pierre dressée
aller / à / contre / vent
corps penché.
Les pieds s'enfoncent
dans le frisson sableux.
Muselé / on boit le vent.
Il y a des rivières qui viennent de la terre
elles creusent le sable.
On les franchit à guet.
Il y a des rivières qui passent au bout du jardin.
Tout entier désir
d'une barque amarrée.
D'un saule
branches dans le courant.
Le jardin comme une page.
La falaise se délite
la chair entamée
du sienne au noir.
Opacité des mots pour dire l'amertume.
Les éboulis
meute ignorée
du vert au brun.
Rien n'y court.
N'y a cours
plaie d'un temps autre
ruines moisies
déliquescence des murs.
On voudrait rompre le silence
froid
des pierres.
Malgré l'averse
l'avancée folle
vers le cube de béton.
Deux yeux carrés
iris d'ombre
barrés de fer.
En faire le tour .
Deux autres lucarnes
de leur noir
surveillent l'atlantique.
Le ciel aux confins du plomb
se perd.
Les franges d'écume bouillonnent
déferlent en forces furieuses.
Le vent s'entête.
On tient sur le fil
le mur
la digue.
La lumière est
dorée
tamisée d'embruns légers.
Des silhouettes embrumées
à contre soleil
se croisent
inlassable chorégraphie.
On est ivre d'être dans la danse.
Jour VIII
On entre dans le gris
On reste là.
On ne fait pas d'ombre.
Là-bas la mer est immobile.
Pas de silence vide
On aurait peur.
Il faut aller loin.
pour retrouver l'horizon d'eau
Il faut cheminer vent en poupe
pour que les vagues viennent effacer les pas.
Il faut avancer sur le miroir étalé.
Les coquillages craquent sous la semelle.
S'en éloigner
si certains étaient vivants !
Ramasser la coquille d'un couteau
le mettre dans sa poche.
Il y aurait ce souvenir qui n'est pas d'ici
de poches pleines de granits roses incrustés de paillettes noires.
Noires comme les cormorans
regroupés
en lisières de la marée.
On sait ce qu'on cherche.
L'espace,
la lumière,
l'air
ouvrir sa cage.
Ici
pas d'odeur verte ou brune
d'iode amère
violette comme les oursins.
rouge comme les algues en lamelles.
Dans la lumière opale
des mots surgissent et s'assemblent
écriture immédiate qui ouvre les yeux
La retenir dans sa force vive
avant qu'elle ne s'échappe.
Jour IX
On écoute penser les mots
Rudes
les mots ce matin
ils sont irrités
Bien que
du soleil
à revendre
et du bleu
plein le ciel.
Les propriétaires de chiens doivent ramasser les crottes de leurs chiens
un enfants y a plongé les doigts.
Les tankers surchargés ne devraient pas naviguer à l'horizon.
Ouvrir les yeux
Des lapées d'écume jaunâtre meurent sur le sable
Sous un ciel tranchant
un soleil âpre
les blockhaus hargneux se disloquent.
des dalles rouillées s'enchevêtrent
les falaises brunes se délitent.
Une pelleteuse rugit
au sommet.
On répare.
Il faut traverser les chemins d'eau
la bouche enflée de paroles trop lourdes.
Dans un demi-tour
surgissent
à contre-jour
des silhouettes tremblées.
comme
une aquarelle
sur fond de soleil tamisé
On revient.
Les traces de pas sont légères.
On voit un labyrinthe dessiné dans le sable.
Un enfant a joué à s'y perdre.
Quelqu'un
offre un galet brisé
le cœur lisse et noir du silex
fait battre le nôtre.
Debout sur la plage on regarde s'affaler les vagues
en comptant le rythme des assauts.
Jour X
« Attention danger
FALAISE »
un petit bonhomme noir plonge dans le vide.
Le ciel pas loin.
Un vol d'oiseaux
forts de leurs ailes
au-dessus.
« Fulmars boréal »
me dit-on.
Ils viennent du nord
en bandes
Ils planent
ils tournent
dans l'air.
Soudain
ils piquent vers la paroi terre de Sienne.
La falaise
c'est
un balcon
sur la baie.
La baie
une mer déroulée
qui
ourle un miroir sans tain.
Les cris de mouettes rayent le silence
dans
une immense lumière.
Le ciel poursuit son bleu.
Un gros nuage de fer assombrit la toile
Le vent aigrelet
pousse les chars à voile.
On tire sur la bonne cordelette
on vire.
Les voiles jaunes courent.
Boulogne sent le hareng.
Au bord du sentier.
un peu d'herbes couchées
un pan de mur en briques
qui s'écroule.
Le temps se défait.
une ferraille rouillée.
Une touffe de mauvaise herbe
peut-être des oyats.
On croit savoir.
Un abri-tunnel
un duvet
choses défaites.
C'est comme
un air de guerre.
Des ronciers
aux fils de fer
des blocs chavirés
aux vastes trous ronds et profonds
Et la boue collante
et les plaques boulonnées.
Sur un ciment gris un tague en couleur.
Passer sous.
Le cœur tout contre.
Pas d'ici le souvenir.
On se cachait dans les trous des blockhaus
On riait.
On aimait.
Jour XI
On ne cherche jamais
ce qu'on trouve.
La gare
là,
soudain
plantée devant les rails
le ballaste entre
et comme une odeur d'escarbille.
Pleine de vie
de soleil
la rivière
le bord
Les canards fouillent
le bec
dans l'herbe folle.
Une oie s'égosille.
On passe
par la plage.
Des chevaux cavalcadent.
On cherche le cap
et des parois blanches
Ce sont
des herbes accueillantes
comme des berceaux.
Une vue plongeante sur le monde.
Une petite houle
se dirige vers
le rivage
tranquille.
Quelques écumes ourlent
une roche
affleurante.
Les cormorans
et les mouettes
ne s'y trompent pas.
Boussole de vent.
Vide en dessous
laisse voir
à l'horizon
l'Angleterre.
à l'ouest
le soleil quitte le jour.
Sous les paupières
des ombres rouges
et des cieux indigo.
A contre crépuscule
si près
un verre
une portion de frites
Jour XII
Alerte
l'autre souffle au nord
Ici
pas une brise
joues rouges
de soleil.
Le diamant liquide s'éloigne.
Il reste sable et galets
Nos traces.
Les dunes aux fleurs closes
s'écoulent.
Etranges méandres
aux écheveaux d'eau salée.
Endeuillée de bleu
la plage s'étale
blonde.
Face au ciel
on s'est allongé.
Trouver le galet.
Les doigts
enserrent
celui qui est percé
silex noir
pour amulette.
On se répète la même phrase
de barque,
de cordage,
de poissons
de coquillages
d'itinérance de mer en mer.
Hors des ratures de langage
en filigrane
déambulent
les funambules.
Jour XIII
Marée / trop / haute
impossibilité / d'aller / à / Boulogne.
On voit les oiseaux,
blancs
par paires
nichés dans les cavités de la falaise.
Brume / rosée / à l'horizon.
Soleil / tiède
Les / mouettes / se / regroupent
On va à son rythme
La rivière s'écoule
paresseuse.
Les vagues
lapent le sable.
Comment / peut / on / se/ mettre
dos / à la / mer ?
Quelques-uns
pliés en deux
ramassent des moules
les mettent dans un
seau blanc.
D'autres des coquillages.
On trace / des / messages / dans
l'humidité / du sable
Sur fond de mer
des silhouettes tremblées
une impression transparente
de l'écume en festons.
On / a eu / la bise / du / Sans logis / roumain
Le ciel se mire
On traverse le paysage
on a laissé des traces
on revient
les chercher.
On / s'est / couché / sur / le / béton.
Le soleil
les chiens
les enfants
le ballon
la femme
le sourire